Jane Sautière

Jane Sautière a marqué la rentrée littéraire avec Les Corps flottants, son septième roman, paru il y a quelques semaines et sélectionné pour le prix Wepler-La Poste. « J’ai vécu mon adolescence à Phnom Penh de 1967 à 1970. J’en ai si peu de souvenirs que j’ai laissé toute la place à ces traces, des ombres projetées. En résille, des silhouettes apparaissent, font signe, celles des parents, de mes camarades de lycée, d’un grand amour. Celles aussi auxquelles la violence de l’Histoire nous attache. » L’écrivaine a accepté de rendre hommage, à travers ce petit exercice, à quelques-unes des oeuvres qui l’ont touchée.

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  • Prêt Numérique en Bibliothèque : 9782072988769
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    Corps flottants

    Jane Sautière - Livre - Verticales - 2022

    “ De petits débris flottent et se déplacent dans le vitré projetant parfois des formes sur la rétine. Ce que l'œil perçoit est l'ombre de ces corps flottants. Comme dans un cosmos, certains se satellisent et s'agrègent. J'ai vécu mon adolescence à Phnom Penh de 1967 à 1970. J'en ai si peu de souvenirs que j'ai laissé toute la place à ces traces, des ombres projetées. En résille, des silhouettes apparaissent, font signe, celles des parents, de mes camarades de lycée, d'un grand amour. Celles aussi auxquelles la violence de l'Histoire nous attache. Ici, à Paris, le temps est blême, c'est l'hiver, il est 17 heures, il fait huit degrés. Là-bas, à Phnom Penh, la nuit est totale, il est 23 heures et il fait vingt-six degrés. J'ai voulu écrire dans les deux fuseaux horaires, dans les deux latitudes. Écrire au crépuscule qui est avant tout la survivance de la lumière après le coucher du soleil.”  J. S.

    Jane Sautière a reçu le prix Arald en 2003 et Lettres Frontière en 2004 pour son roman Fragmentation d’un lieu commun.

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    Rentrée littéraire 2022
  • Les jours, les mois, les années

    Yan Lianke, Brigitte Guilbaud - Livre - Picquier - 2002

    J’ai choisi ce livre en résonance avec l’été que l’on vient de vivre, qui nous a tous cramés, sidérés. Ce texte, qui est à la fois une fable et un conte, parle d’un village en Chine, brûlé par une sécheresse inimaginable qui a fait fuir tous les habitants. Seuls restent un très vieil homme et un chien aveugle. Et toute l’espérance de vie va résider dans cette dyade, dans cette alliance de ces deux êtres handicapés. Ce texte m’a toujours bouleversée parce que je trouve qu’il a une force de vie incroyable. Ce n’est pas pour autant une bluette, les champs ne reverdissent pas à la fin, mais il y a cette forme d’espoir qui naît de l’alliance d’un animal et d’un homme, de deux êtres qu’on imaginerait les moins capables de sauver la vie. 

  • Mbo

    Gérard Haller - Livre - Harpo & Éditions - 2018

    Je ne comprends pas pourquoi Gérard Haller n’est pas plus connu. Ce livre-ci travaille la disparition des espèces et je le trouve saisissant. Une longue litanie, une énumération qui parait sans fin, fait résonner rythmes, sons, traces d’une vie animale qui nous aura quittés sans qu’on la considère. Une pulsation qui est comme une arche de Noé de ceux qui sont en train de s’éteindre, dans une langue absolument merveilleuse et poignante. Et c’est sidérant de beauté.  

  • Ceux qui vont par les étranges terres, les étranges aventures quérant

    Claude Favre - Livre - Editions lanskine - 2022

    Voilà un texte très surprenant, sur la malédiction de notre monde qui persécute ceux qui ne peuvent pas rester en place, ceux qui bougent, les réfugiés comme les nomades, car tous ceux qui bougent sont voués à la persécution. Claude Favre l’évoque dans une langue qui a la puissance d’une hache. Des thématiques traversent le livre, celle du nom étrange des « vagabonds inaudibles » ou ces noms à « être enterrés dans les fosses communes », les vrais noms des lieux qui ne sont jamais sur les cartes, la langue (“qui possède une langue ne se perd pas"), Il y a les « imagine » qui sont le revers et tout autant le semblable des « n’imagine », ils ouvrent les imaginaires qui doivent faire figurer, donner place, rendre un visage aux oubliés, aux disparus, imaginer que « le possible est un visage ». Et je voudrais citer tout le livre dans cette langue si belle, si juste (qui rend justice), si puissante.

  • Prêt Numérique en Bibliothèque : 9620690030869
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    Un chien à ma table

    Claudie Hunzinger - Livre - Grasset et Fasquelle - 2022

    Je n’avais jamais lu Claudie Hunzinger, mais depuis que j’ai lu Un Chien à ma table, j'enchaîne tous ses autres livres. Un Chien à ma table parle du surgissement d’une petite chienne dans le quotidien d’un couple âgé qui vit dans une montagne isolée. L’ouverture du livre est saisissante : la petite chienne a été violée et s’est enfuie. Ce viol, c’est celui des enfances, des êtres fragiles de cette terre. Il pèse sur le livre une menace sourde, celle d’une corruption à l’œuvre et de l’intranquillité qui en résulte. Pourtant, la puissance de la joie que cette petite bête instille, le rebond dans la vie qu’elle va générer disent aussi la merveille d’être au monde, que, comme l’animal, nous ne devons pas perdre de vue.

  • Ascensions

    Babx - Audio - BISONBISON - 2017

    Cette chanson est très simple, et dans sa simplicité il y a quelque chose de prenant qui relève de la droiture, une façon d’énoncer une forme d’hommage. Ce que je ne savais pas, c’est qu’Omaya était une femme combattante irakienne qui, avant la guerre, était une mère de famille au milieu de ses roses, dans un petit village pas très éloigné de Tikrit. Et par son courage, elle a mobilisé une petite armée pour tenir tête à Daesh. Evidemment, ils se sont tous fait tuer au bout de quinze jours, mais il y avait une force en elle extraordinaire. "A toi mon assassin, mon enfant mon amour, à présent que je vole, à présent que tu coures, je n’aurai de cesse tu le sais, je n’aurai de cesse de te hanter toujours, et je te condamne à l’amour" Je voulais absolument faire figurer cette chanson en référence aux femmes iraniennes qui se battent en ce moment avec ce courage insubmersible. On peut bien les tuer, il y a quelque qu’on ne tuera pas, c’est leur envie de vivre libres. Et c’est par l’hommage qu’on leur rend dans les chansons, les livres, qu’on peut faire tenir des combats comme ceux-là. 

  • Nouar

    Cheikha Rimitti - Audio - BECAUSE MUSIC - 2000

    Cheikha Rimitti est née à Oran en 1923. C’est une femme qui chantait l’amour, l’alcool, la fête, tout ce qui est interdit par une sorte de rigorisme qui a pris le pouvoir sur l’islam. C’est une femme qui a chanté jusqu’à la fin de sa vie. Je trouve bien qu’ici on danse et si les lecteurs de Vivre la culture qui écouteront “Nouar” ne dansent pas, je m’engage à leur payer une gaufre ! Dans un autre genre, il y a le très doux et très joli poème de Jules Massenet “Poème d’octobre” chanté par Bruno Laplante dans une mélodie très mélancolique et très réconfortante aussi, comme si on pouvait s’y blottir. “Reviendrez-vous beaux amoureux quand reviendra la saison douce”. Il y a tout ce qui n’est plus, mais aussi ce qui est promesse de retour, tel le flux et la circularité des saisons.

  • Willow Weep For Me

    Billie Holiday - Audio - VERVE - 1955

    J’ai découvert Billie Holiday adolescente quand je vivais au Cambodge, enfermée dans ma chambre où je fumais comme une locomotive. Je ne sais pas comment j’ai découvert le jazz puisque mes parents n’avaient aucun lien avec cette musique, je ne sais donc pas comment Billie Holiday est tombée dans ma chambre enfumée mais ça a été un coup de foudre magistral. J’étais une boite de nuit de Harlem à moi toute seule, c’était vraiment merveilleux ! Je ne comprenais pas les paroles, mais intuitivement je ne m’en écartais pourtant pas. C’est une très jolie chanson sur un saule pleureur qui est chargé à la fois de couvrir, d’ensevelir et de réconforter celle qui n’a plus besoin de pleurer puisque le saule le fait pour elle. Chaque fois que j’entends ce morceau, je retrouve l’état initial, mélange de mélancolie, de chagrin et de grâce. 

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    Le Goût de la cerise

    Abbas Kiarostami - Video - Potemkine films - 1997

    Tout le cinéma d’Abbas Kiarostami est extraordinaire. Dans Le Goût de la cerise, on retrouve un visage de l’Iran que l’Occident ne peut pas capter parce qu’on est submergé par les images quotidiennes de l’Iran des ayatollahs, du risque nucléaire, l’Iran qui égorge, qui aliène les femmes. C’est pourtant un pays qui a un rapport à la culture absolument prodigieux, où tout le monde connaît des poèmes, et où la parole, la dialectique, sont capitales, comme on le voit très bien dans les films iraniens. Dans Le Goût de la cerise, on suit un homme qui veut mourir sans qu’on ne sache jamais pourquoi, mais qui a besoin de quelqu’un qui versera de la terre sur la tombe qu’il s’est creusée. Il essuie plusieurs refus, jusqu’à ce qu’un vieil ouvrier accepte après lui avoir raconté comment le goût d’une cerise l’a lui-même retenu de se suicider. Le Goût de la cerise et Où est la Maison de mon ami ? sont deux contes philosophiques sur l'inconditionnalité de l’amitié, sa force salvatrice, et aussi sur la nécessité d’être présent, d’être là. A la fin du film, on ne sait pas ce que fera cet homme, mais quelqu’un lui aura donné le goût de la cerise comme un secours possible. 

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    L'Image manquante

    Rithy Panh - Video - Arte éditions - 2013

    Rithy Panh essaye de transmettre quelque chose de ce qu’a été le régime des Khmers rouges. Pour cela il va utiliser des images d’archives, mais il se rend compte qu’il a besoin d’une image qui dirait de ce qu’a été le génocide. Mais elle n’existe pas. Alors il va faire figurer quelque chose, et c’est cette idée de la figuration qui m’interpelle. Rithy Panh va demander à un jeune artiste khmer qui n’a pas connu cette période, de modeler des petites figurines en terre qu’il va peindre, et que Rithy Panh va mettre en scène dans des tableaux qu’il va filmer. Avec ce principe, nous ne sommes pas dans le réel, et pourtant le pouvoir d’évocation, la force d’émotion de ces figurines mises en scène est extraordinaire. Rithy Panh disait qu’il était troublé de voir la vie remonter de la terre où reposent les morts. Ainsi on réalise que la figuration peut être bien plus forte que la représentation. 

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    Pas de printemps pour Marnie

    Alfred Hitchcock - Video - Universal Pictures - 1964

    Tout Hitchcock, bien sûr ! Mais particulièrement Pas de Printemps pour Marnie, parce que ce film concentre beaucoup de thèmes chers à Hitchcock mais aussi parce qu’il y en a un qui m’intéresse particulièrement, c’est son rapport aux vêtements. Ses héroïnes sont toujours habillées avec un soin et une précision extrême. Dans Pas de Printemps pour Marnie quand elle apparaît, de dos, elle est brune, dans un tailleur marron et un sac jaune. Elle se rince la tête dans un lavabo et la voilà blonde dans un tailleur gris. Elle gruge les hommes pour les voler mais sans jamais avoir de relation amoureuse avec eux, jusqu’au moment où elle tombe sur un homme qui va jouer au docteur avec elle, autre thème oh combien hitchcockien ! Chez Marnie, le vêtement épuré, impeccable, est là pour la contenir, pour contenir ses angoisses, la violence rentrée, elle a de la tenue, elle est tenue. Sa coiffure extrêmement lissée, tout comme dans Vertigo, raconte quelque chose d’un double agissant, elle et pas elle. La problématique du double et du trouble. 

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    Nosferatu

    Murnau Friedrich Wilhelm - Video - FSF - 1922

    Nosferatu, c’est un film de pures hallucinations. Les images sont d’une telle beauté sidérante qu'on a l’impression d’être dans un cauchemar d’un flamboiement sculptural. Ce personnage, Nosferatu, un vampire, arrive sur un bateau envahi par les rats, et, peut-être est-ce une construction de ma part, mais je ne peux pas voir ces images sans penser à l’arrivée du nazisme. Sans le savoir, le film date de 1922, Murnau annonce l’arrivée d’Hitler. Prémonition ? Intuition ? Et aujourd’hui, je me demande quelle démarche artistique joue ce rôle devant les inquiétudes qu’on peut avoir face à la montée des extrêmes, des risques de la destruction de l’humain dans l’humain. 


Corps flottants
Jane Sautière

Les jours, les mois, les années
Yan Lianke, Brigitte Guilbaud

Mbo
Gérard Haller

Ceux qui vont par les étranges terres, les étranges aventures quérant
Claude Favre

Un chien à ma table
Claudie Hunzinger

Ascensions
Babx

Nouar
Cheikha Rimitti

Willow Weep For Me
Billie Holiday

Le Goût de la cerise
Abbas Kiarostami

L'Image manquante
Rithy Panh

Pas de printemps pour Marnie
Alfred Hitchcock

Nosferatu
Murnau Friedrich Wilhelm

Dans cette sélection

  • Jane Sautière | Corps flottants
  • Yan Lianke, Brigitte Guilbaud | Les jours, les mois, les années
  • Gérard Haller | Mbo
  • Claude Favre | Ceux qui vont par les étranges terres, les étranges aventures quérant
  • Claudie Hunzinger | Un chien à ma table
  • Babx | Ascensions
  • Cheikha Rimitti | Nouar
  • Billie Holiday | Willow Weep For Me
  • Abbas Kiarostami | Le Goût de la cerise
  • Rithy Panh | L’Image manquante
  • Alfred Hitchcock | Pas de printemps pour Marnie
  • Murnau Friedrich Wilhelm | Nosferatu

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