Si Toulouse-Lautrec est pour toujours associé à Montmartre, au Moulin Rouge, ou à Aristide Bruant, on oublie parfois qu’il fut aussi un peintre de la modernité. Tout l’inspire. La vitesse des voitures (le premier salon de l’automobile eut lieu en 1901) ou des vélos (l’affiche pour la chaîne Simpson), les techniques d’impression, la photo, le cinéma ou le développement de la presse pour laquelle il va réaliser de nombreuses illustrations. On peut rêver à tout ce qu’il aurait pu faire s’il n’était mort à 37 ans usé par une vie d’excès.

Félix Fénéon est l’un des plus brillants critiques d’art et découvreur de talents de sa génération, l’un des rares à avoir défendu les impressionnistes, puis les post-impressionnistes, dont Signac qui fera son célèbre portrait. Par la suite, il défendra Bonnard, Van Dongen, Picasso... et sera l’un des premiers à s’intéresser à l’Art africain. Il soutiendra aussi Rimbaud, Apollinaire, Paul Valery, Mallarmé…. C’est dans Le Matin qu’il publiera ses fameuses nouvelles en trois lignes, des informations brèves d’un humour pince-sans-rire comme on rêverait d’en lire sur Twitter. PNB 3612225111323

Fondée par Alexandre, Thadée et Louis-Alfred Natanson, la Revue blanche (1889-1903) s’ouvrait à toutes les tendances d’avant-garde littéraires ou artistiques. Toulouse-Lautrec sera un proche de Thadée qui l’introduira auprès de Bonnard et Vuillard. Il fera aussi la connaissance de Félix Fénéon, secrétaire puis directeur de la revue, critique d’art influent qui tient la peinture de Toulouse-Lautrec pour la plus explosive de son temps. Cette édition regroupe une trentaine de textes, rassemblés par thématique.

Né en province dans une famille bourgeoise, c’est à Paris, en chantant les ouvriers et les bas-fonds, qu’Aristide Bruant va connaître les premiers succès puis la gloire. Père de la chanson réaliste popularisée par Fréhel ou Piaf, Bruant est aussi un romancier qui entraîna les lecteurs dans les quartiers de Paris où l’argot était la langue commune. C’est lui qui va imposer le projet d’affiche de Toulouse-Lautrec pour son spectacle qui est aujourd’hui encore un best-seller chez les vendeurs de souvenirs de la place du Tertre.

Le film Moulin Rouge de John Huston est l’adaptation du roman éponyme de Pierre La Mure paru en 1951. Centré sur la figure d’un Toulouse-Lautrec rongé par l’alcool, le film nous dépeint un Montmartre en technicolor made in Hollywood. A l’inverse, la comédie musicale Moulin Rouge de Baz Luhrmann (2001) avec Nicole Kidman et Ewan McGregor ne garde de Montmartre qu’une carte postale numérisée, vitaminée à la pop musique de Police ou David Bowie, et dans lequel Lautrec ne fait que passer.

Vingt ans après Partie de campagne (tourné en 1936) et dans un Montmartre reconstruit en studio, Renoir met en scène Jean Gabin dans la peau d’Henri Danglard, le fondateur du Moulin Rouge ( fondé en réalité par Joseph Oller et Charles Zidler). « Sais-tu ce que je vais leur donner ? Du canaille pour millionnaires. L’aventure dans le confort. Des tables de guinguettes avec des champagnes de marque et des flonflons de bastringue joués par des virtuoses ». Le Moulin Rouge ou la naissance du marketing touristique.

C’est l’histoire d’un commerçant de la rue des Martyrs (au pied de Montmartre) qui emmène sa femme, sa fille et son commis passer une journée au bord de l’eau. Deux canotiers proposent aux deux femmes une promenade en barque… Nous sommes en 1860, quatre ans avant la naissance de Toulouse-Lautrec. Ce court film de 39’, tiré d’une nouvelle de Maupassant, est une ode à la sensualité, à la nature, à l’eau. Le plus bel hommage de Renoir à la peinture de son père et à celle des impressionnistes.

Comme Degas, Van Gogh, Gauguin et d’autres impressionnistes et post-impressionnistes, Toulouse-Lautrec est fasciné par l’art japonais. Sa série, Elles, rappelle Les Douze heures des Maisons Vertes du peintre Utamaro, qu’il a découvert, comme les estampes d’Hokusaï grâce, notamment, aux travaux d’Edmond de Goncourt sur ces deux peintres.

Au début du XXe siècle, la promotion des spectacles se fait par voie de presse ou par affichage. Lautrec a compris que, pour accrocher le passant, il faut des visuels forts. Il compose alors des images en supprimant les détails superflus et privilégie les aplats de couleur. Une recette que retiendront, à leur tour, Savignac et Villemot.

Au tournant du XXe siècle, L’Apollonide, bordel de luxe parisien, est menacé de fermeture. C’est le quotidien de douze prostituées coincées par les dettes qu’elles ont toutes contractées auprès de « Madame », un quotidien fait d’attente, de rituels, de désillusions et de fatigue (Je suis tellement fatiguée, je pourrais dormir mille ans) que raconte Bertrand Bonello dans une ambiance où flottent les parfums capiteux et les effluves d’opium et où ne pénètre jamais la lumière du jour. L’Apollonide ou l’équivalent au cinéma de la série Elles de Lautrec.

"Le sujet de Nana est celui-ci : Toute une société se ruant sur le cul. Une meute derrière une chienne, qui n'est pas en chaleur et qui se moque des chiens qui la suivent. Le poème des désirs du mâle, le grand levier qui remue le monde." Émile Zola. Dans ce personnage de courtisane, Zola a peint à la fois la corruption d'une femme, de la société où elle recrute ses amants, et d'un régime politique, le Second Empire. PNB 9782072736582

Elles regroupe onze lithographies qui évoquent la réalité quotidienne des pensionnaires de maisons closes, « états d’être et états des corps » évoqués avec subtilité et sans voyeurisme ni jugement moral. Lautrec dessine la toilette, l’attente, la fatigue des corps. La tendresse aussi. Son talent de dessinateur lui permet de saisir ces moments dans leur instantanéité, comme un photographe.