Welfare
J’écris des récits documentaires et j’ai toujours eu un tropisme pour sa forme cinématographique, dont Frederick Wiseman est peut-être le plus grand représentant. Welfare nous plonge dans un centre social à New York, pendant trois heures, ce qui est relativement court pour un Wiseman ! Cette expérience de la durée est pour moi essentielle car la forme documentaire exige un engagement au long cours. Faire du documentaire c’est d’abord s’immerger, mettre sa patience et sa persévérance à l’épreuve. Pour écrire À la folie, j’ai passé un an, une fois par semaine, dans un hôpital psychiatrique, un an également au tribunal pour Le Témoin, et c’est dans ces durées longues que pouvaient advenir des paroles, des gestes, des instants, et que je pouvais finir par disparaître. Dans Welfare, on suit des gens qui viennent rencontrer des travailleurs sociaux. Wiseman s’attache aux visages et laisse la parole se déployer, sans l’interrompre, la laisse digresser, dérailler, tourner en boucle, pour finalement capter la justesse de ce qui se dit. C’est de plus en plus rare dans le documentaire, on a si souvent peur que le spectateur s’ennuie et décroche. Cette patience-là, c’est aussi pour moi la vertu première de l’écriture.
