C’est donc ce titre de Peter Cheyney qui porte le numéro 1 de la collection, un titre de la série Lemmy Caution, l’agent auquel Eddie Constantine a prêté ses traits au cinéma. Traduit par Marcel Duhamel himself dans une langue et un argot qui portent les tics de son époque, il est amusant de constater que ce roman est le deuxième de son auteur, et que c’est son premier, Cet homme est dangereux, qui sera le numéro 2 de la SN. “ La môme Vert-de-gris est un roman où se mêlent curieusement – et pour le plus grand agrément du lecteur –, l'énigme policière, une violence assez primitive, les ruses de l'intelligence, la présence de femme étranges et attirantes, la langue la plus pittoresque qui soit. ”

Avec Du balai ! (n°341), premier épisode de sa série du 87e District, Ed McBain (Salvatore Lombino à la ville, scénariste des Oiseaux d'Alfred Hitchcock et de nombreux épisodes de séries TV dont L'Homme de fer, Columbo…) invente quasiment le polar chorale dont le héros est toute une brigade d'inspecteurs de police d'un commissariat de la ville d'Isola, ville fictive inspirée de New York. Steve Carella, Meyer Meyer et Bert Kling sont donc les acteurs récurrents de cinquante-trois romans qui ont fortement inspiré des séries comme New York Police Blues, The Wire, ou The Shield. Si la violence urbaine n’est pas absente, en suivant pas à pas le déroulement de l'enquête, on devient également incollable sur les procédures policières.

Après une vie compliquée, sept années passées derrière les barreaux et quelques livres au succès confidentiel, Chester Himes arrive en France avec dans ses bagages la colère de ceux que l’Amérique a mal traités. C’est Marcel Duhamel qui va lui conseiller d’écrire des romans noirs sur ce qu’il connaît le mieux, la vie des Noirs à Harlem. C’est ainsi que va naître la paire composée de Ed "Cercueil" Johnson et Grave "Fossoyeur" Jones, deux policiers Noirs désabusés qui débusquent la crapulerie et dénoncent la violence… dont ils savent très bien faire l'usage. La Reine des pommes (n° 419) sera un immense succès récompensé par le Grand prix de littérature policière en 1958.

Pour son deuxième film, François Truffaut adapte le roman éponyme de David Goodis paru en 1957 (n° 379). Marqué par une réputation d’écrivain maudit et alcoolique que démonte Philippe Garnier dans le livre qu’il lui a consacré Goodis, la vie en noir et blanc, David Goodis reste peu connu dans son pays bien que souvent adapté au cinéma. En France, après Truffaut, il y aura Le Casse, d’Henri Verneuil (1971) avec Jean-Paul Belmondo, ou encore La Lune dans le caniveau, de Jean-Jacques Beineix (1983) avec Gérard Depardieu et Nastassja Kinski.

Encore une adaptation réussie d’un titre de la collection, ici Des Cliques et des cloaques de Jim Thompson paru en 1967 (n°1106). Sur des dialogues de Georges Perec, Alain Corneau met en scène Patrick Dewaere dans un de ses meilleurs rôles, celui d’un représentant raté qui rencontre une jeune fille (Marie Trintignant) poussée à la prostitution par sa propre tante. Ils décident tous les deux d'assassiner la tante pour récupérer son magot. Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir…

Jim Thompson est considéré comme un des incontournables du roman noir américain, voire du roman américain tout court. À noter que le titre américain original est Pop. 1280. Alors pourquoi 1275 âmes (n° 1000) en France ? Où sont passées les cinq âmes en moins ? (Une disparition qui inspira à Jean Bernard Pouy son roman 1280 âmes, dans lequel un libraire bibliophile enquête sur l’affaire). Bertrand Tavernier adapta le roman au cinéma dans Coup de torchon, (1981) avec Philippe Noiret dans le rôle du policier débonnaire (un shérif dans la version américaine), apparemment pas très malin, qui se laisse même humilier en public. Comme si ça ne suffisait pas, il est cocu. Il décide donc de commencer à faire le ménage…

1275 Âmes a été retraduit et republié dans sa version intégrale (au début, beaucoup des traductions de la Série Noire étaient “allégées” de quelques chapitres), ainsi que tous les autres romans de JIm Thompson, chez Rivages Noir.

Fils de bonne famille qui fit même un rapide passage dans le prestigieux collège d’Eton, Robin Cook est un auteur anglais qui immerge ses lecteurs dans le milieu londonien de la pègre dont le sordide et la violence n’ont rien à envier à son cousin américain, et dans lequel il arrive que les vrais méchants côtoient l’aristocratie. “De vrais petits durs, ces milords-là. Prêts à tout pour rigoler. Et cette fois, on leur proposait un coup fumant, aux œufs. Quelques millions en faux billets de cinq livres à faire passer en Angleterre, d'Allemagne de l'Est. Tout avait été prévu... enfin presque. Ils avaient seulement oublié que dans ce bizness on ne peut avoir confiance en personne.” Crème anglaise, porte le n°1042 dans sa version originale.

Traducteur, auteur de romans pour la jeunesse, de novelisations, scénariste (en 1968 il rencontre son premier succès en co-signant les scénarios et dialogues de la série télévisée Les Globe-trotters), Manchette est celui qui va renouveler le roman noir français en misant uniquement sur le comportement de ses personnages, sans presque jamais en expliquer les sentiments, ni les états d'âme ou la psychologie. Ce style nouveau, baptisé néo-polar, donnera naissance à toute une nouvelle génération d’auteurs français. Il faut lire et relire Manchette dont plusieurs romans ont été adaptés en BD par Tardi. Ô dingos, ô châteaux ! (n°1489) a reçu, en 1973, le Grand prix de la littérature policière.

De Jerome Charyn, auteur de près quatre-vingt livres, et dont le New York Newsday dit qu’il est le « un Balzac américain contemporain », on dit aussi qu’il fût la dernière découverte de Marcel Duhamel. Les trois premiers romans des aventures - un poil surréalistes - d’Isaac Sidel, le commissaire au ver solitaire, Marilyn la dingue (n°2388), Zyeux-Bleus, et Kermesse à Manhattan, sont sortis à quelques mois d’intervalle la même année en France, en 1977. Huit autres épisodes suivront. Un temps installé en France, Jerome Charyn, par ailleurs émérite joueur de ping-pong, sport auquel il a consacré un livre, a aussi signé quatre histoires mises en dessins par François Boucq. 

Au début des années quatre-vingt, dans le sillage de Jean-Patrick Manchette et du néo-polar, la Série Noire ouvre son catalogue à quatre nouveaux auteurs français : Didier Daeninckx avec Meurtres pour mémoire, Marc Villard avec Ballon mort, Jean-Bernard Pouy avec Nous avons brûlé une sainte, et Thierry Jonquet avec Mygale (adapté en 2011 au cinéma par Pedro Almodóvar sous le titre La piel que habito.) Auteur de romans noirs dans lesquels se mêlent faits divers, satire politique et sociale, Thierry Jonquet dit : « J'écris des romans noirs. Des intrigues où la haine, le désespoir se taillent la part du lion et n'en finissent plus de broyer de pauvres personnages auxquels je n'accorde aucune chance de salut. Chacun s'amuse comme il peut. » La Bête et la Belle, (n°2000), a été couronné du Trophée 813 en 1985.

Nick Tosches est un journaliste américain dont les amateurs de rock lisaient les papiers dans Creem, l’autre grand magazine de rock avec Rolling Stone. Ses biographies de Jerry Lee Lewis (Hellfire), de Dean Martin (Dino), ou encore celle, romancée, du gangster Arnold Rothstein Le Roi des Juifs, ont marqué les lecteurs bien au-delà de la sphère musicale. La Religion des ratés (n° 2437) a reçu le prix Calibre 38 en 1988.

Auteur d’une quarantaine de romans dont beaucoup ont été couronnés de prix, Caryl Férey est la locomotive du roman noir français, et donc de la Série Noire, depuis maintenant une vingtaine d’années. Ses principaux romans se situent souvent dans des pays marqués par un passé récent douloureux – colonisation, apartheid, dictature – qui sert de toile de fond à ses histoires : « Je me sens toujours du côté des opprimés », déclarait-il en 2017 au journal Le Temps. Et ça marche !